"Temps FIR ou la nécessité de penser sa pratique"

Samedi 16 juin 2012

Intervention pour Association APCOF, hôpital Sainte-Anne.

Fatima Gaoua

Psychologue clinicienne, Paris


Je suis là aujourd’hui en face de vous pour vous parler du temps FIR, temps destiné aux psychologues cliniciens.
Tout d’abord, une petite définition : FIR signifie Temps de Formation, d’Information et de Recherche. Il est important de ne pas le confondre avec le temps DIF ( Droit individuel à la formation ) qui, lui, est destiné à tous les professionnels quel que soit leur domaine d’exercice. Il représente un cumul de 20 heures par an pour un temps plein. Le temps FIR, lui, représente un tiers du temps du travail du psychologue par semaine.
Alors me direz-vous peut-être, comme certains jeunes collègues psychologues, pourquoi un temps de formation et de recherche spécifique aux psychologues ?
Eh bien, tout simplement, parce que le psychologue travaille avec ce qu’il est et avec le transfert.
Dans le statut du psychologue - décret de 1991-  il est clairement énoncé ceci :  
« Le psychologue tient sa compétence de la réactualisation de ses connaissances… »  « Il se doit d’actualiser sa formation sur les évolutions des méthodes et connaissances. Toutes facilités doivent lui être données pour permettre cette formation et, notamment, rendre possible le suivi d’enseignements, le cas échéant, à l’extérieur de l’établissement. De plus  « …Pour assumer sa démarche professionnelle propre, pour élaborer, réaliser et évaluer de façon continue son action, le psychologue effectue une démarche personnelle qui comprend les points suivants :
-    Travail d’évaluation prenant en compte sa propre dimension personnelle, effectuée par évaluation mutuelle ou par toute autre méthode spécifique.
-    Actualisation de ses connaissances concernant l’évolution des méthodes et l’information scientifique.
-    Participation, impulsion, réalisation et communication de travaux de recherche
« En outre, il peut participer et collaborer à des actions de formation, notamment auprès des personnels des établissements hospitaliers, des écoles, ou des centres de formation qui y sont rattachés. »
Tout est dit.
 Je vous invite d’ailleurs à lire le code de déontologie des psychologues qui vient d’être révisé.
Le psychologue ne peut se passer de ce temps de formation et de réflexion. Le psychologue a tout intérêt à le demander lorsque celui-ci n’est pas accordé par l’institution dans laquelle il intervient. Il est essentiel pour sa pratique de se nourrir d’autres disciplines pour entendre le sujet au plus près de son histoire, de sa langue, de sa vérité. Il en est de sa responsabilité et de son éthique.
Par exemple, à l’hôpital, il lui sera nécessaire de faire des recherches sur les pathologies afin de comprendre le vocabulaire médical. Savoir ce que sont des métastases, lorsqu’il travaille dans un service d’oncologie, connaître les spécificités d’une hémiplégie gauche ou droite, dans un service de neurologie, etc.
Un travail analytique personnel est bien entendu incontournable mais il n’est pas suffisant. Freud disait qu’il convenait de retourner sur le divan tous les cinq ans.
Les supervisions, les formations sont aussi très importantes pour le psychologue,  jeune ou âgé, inexpérimenté ou expérimenté. Le temps FIR est l’occasion de se documenter, de lire, d’échanger avec ses collègues, les professionnels avec qui il travaille, mais aussi de s’intéresser à la culture de son temps, à l’art, au cinéma, aux us et coutumes, etc. Il doit avoir une connaissance des choses et les actualiser en fonction des personnes auprès desquelles il intervient.
Permettez-moi maintenant de me présenter avant d’entrer dans le vif du sujet.
Je suis en poste dans deux services hospitaliers depuis sept années maintenant. Je travaille parallèlement  pour l’association Intervalle, association psychanalytique du week-end où une vingtaine de psychologues se relayent les week-ends et proposent un temps d’accueil et d’entretien aux personnes qui se trouvent dans une précarité sociale et ou psychique. J’anime des réunions d’analyse de la pratique professionnelle et je reçois en libéral. Vous entendez bien là que j’ai une pratique variée, ce qui implique un travail de pensée. Être psychologue clinicien de formation analytique, cela exige de penser c’est à dire d’effectuer un travail d’élaboration.
Pour l’heure, je vais vous parler du psychologue hospitalier et des difficultés qu’il peut rencontrer à occuper sa place, d’une part, par méconnaissance du fonctionnement de l’institution et, d’autre part, parce qu’il peut être piégé à s’en remettre à un Autre, un médecin, par exemple, qui lui dicterait son champ de pratique.
 Ces difficultés sont rarement évoquées à l’Université.
Vous l’avez compris, LA grande difficulté du psychologue, lorsqu’il arrive dans un service hospitalier, c’est d’arriver à occuper SA place. Je dis bien « occuper », car ce n’est pas parce que je suis nommée à un poste que je suis assurée d’occuper ma place de psychologue. Je dirais qu’il me faut véritablement l’« habiter ».
J’ai ainsi été très surprise de rencontrer des confrères qui choisissaient de renoncer à ce temps de formation parce que  d’autres intervenants n’y avaient pas droit au sein de l’hôpital. Ils ressentaient, disaient-ils, une injustice vis-à-vis de leurs collègues kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, etc.
Mais le travail du psychologue ne saurait, en aucun cas, être d’ordre médical ou paramédical. Or il arrive que des psychologues demandent à travailler sur prescription médicale, je dis bien « prescription », comme si un entretien avec un psychologue pouvait équivaloir un médicament, une séance d’orthophonie ou de kinésithérapie. Pour moi, être psychologue, c’est se tenir pour responsable de l’inconscient. Et l’inconscient ne se rééduque pas : il incombe à chaque personne de décider à quel moment elle souhaite parler ou non à un psychologue.
Un jour, en circulant dans  le couloir d’un service où je travaille, j’ai entendu un médecin dire à une patiente : « C’est psychologique ! Vous êtes angoissée alors que vous répondez bien à la chimiothérapie. Il n’y a pas de raison. Je vais vous montrer au psychologue. »
Comment le patient peut-il se saisir de quelque chose s’il est « un objet à montrer au psychologue » ? Comment peut émerger une parole, un imaginaire, un fantasme, si l’espace proposé est défini d’avance, ordonné ? La parole peut-elle être prescrite ? Non, évidemment, une parole ne peut émerger qu’accueillie dans une totale liberté.
La technicité médicale est de plus en plus pointue et, quelles que soient leurs compétences médicales, les médecins ont peu de temps à consacrer à l’écoute de leur malade et par ailleurs, bien peu en ont la formation. Nous, psychologues, savons tous que, pourtant,  les médecins ont été reconnus d’office comme psychothérapeutes, quelle que soit leur spécialité.
Vous l’avez bien compris : je ne travaille pas sur prescription médicale. C’est lors des staffs médicaux au cours desquels est parlée en équipe l’évolution de tel patient que je décide d’aller le rencontrer.
Je me présente toujours au patient en lui disant que nous avons parlé de sa situation en réunion. Je l’informe du fait que par rapport à ce qui a été dit il m’a semblé important de venir me présenter à lui et de lui proposer un rendez-vous.
 Pourtant, presque chaque fois les patients demandent : « C’est le médecin qui vous envoie ? »  C’est que les patients ne sont donc pas dupes. Evitez de prendre les patients pour des imbéciles ! Au psychologue d’instaurer une relation de confiance et de permettre au sujet de déployer sa parole. Travailler sur prescription, c’est annuler toute la question de la demande.
Ecoutons à nouveau le code de déontologie. «  Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule […] Il favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix [.…]. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. »  
Le psychologue n’est donc pas là pour colmater les angoisses des médecins, des infirmiers, des soignants, des éducateurs ou de toutes personnes qui n’assumeraient pas leur impuissance dans leur relation au patient. En revanche, il lui revient d’occuper cette place particulière de « responsable de l’inconscient », témoin de la division du sujet,  qui accompagne l’ouverture au questionnement, qui soutient la dialectisation des représentations.
 Pour illustrer ce que je viens de vous raconter je vais vous faire part ici d’une anecdote qui m’est arrivée il n’y a pas si longtemps.
 Une patiente, Mme Z., arrive dans le service. Elle est là pour suivre plusieurs cures de chimiothérapie. L’équipe est très vite dépassée : Mme Z. se moque voire insulte les infirmières et les aide-soignantes en leur reprochant de pas faire leur travail correctement. Je suis interpelée une première fois par le médecin et je décide de ne pas intervenir, dans la mesure où Mme Z. a refusé la proposition du médecin de me rencontrer. De plus, il me semble que ses revendications, insupportables pour les soignants, ne sont pas si choquantes. J’explique tout cela au médecin qui, d’ailleurs, en convient.
 Quelques jours tard, la cadre supérieure m’interpelle dans le couloir, entre deux RV et me demande, avec insistance, d’aller voir Mme Z. car la situation devient intenable pour tout le monde. Je décide (sans trop réfléchir malheureusement) d’y aller accompagnée de mon stagiaire de l’époque. A peine me suis-je présentée que Mme Z. nous ordonne de nous en aller sur-le-champ. Nous filons.
Après coup, j’apprends que, le matin même, à la suite d’une altercation avec une aide-soignante, il lui a été dit : « La psychologue passera vous voir. » Ma venue dans ce contexte est évidemment problématique. Sa plainte a purement et simplement été niée. Comme réponse, comme punition ? le psychologue est envoyé.
Voyez à quel point il est essentiel que le psychologue sache garder l’espace intérieur qui lui permette d’écouter non seulement les patients mais les cadres, les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, les agents de service, avec le même éveil et sans préjugés.
 Le psychologue a une place à part. Hiérarchiquement, il dépend du directeur de l’hôpital et parfois par délégation du DRH. Il s’agit de lui permettre d’intervenir librement auprès des patients, de ne pas subir de pression de la part des chefs de service, de repérer et de pointer les dysfonctionnements d’un service.
Un autre exemple de ma pratique : grâce à Intervalle, j’ai été amenée à travailler  avec des stagiaires, à supporter leur regard, leur questionnement. Dans les institutions où j’interviens, j’accueille des stagiaires de Master 1 et de Master 2. Je leur confie des prises en charge.
Une année, j’ai proposé à une stagiaire de rencontrer une dame qui venait d’arriver dans le service. Les médecins la disaient déprimée et souhaitaient que je la rencontre au moins une fois pour éventuellement mettre en place un suivi si celle-ci était d’accord.
A son retour de l’entretien, je lui ai demande de me dire comment la rencontre s’est passée. Elle me dit : « Mme C. est très déprimée. Elle a beaucoup souffert... vraiment elle n’est pas bien…. »  Elle souffle avant d’ajouter « …Elle a eu une vie épouvantable, bref, la vie d’une femme algérienne de 50 ans. » Je lui demande de me préciser ce qu’elle veut dire. Elle poursuit «  Les violences subies par cette femme de par son mari, de par sa belle-famille, elle n’a jamais pas été respectée, etc. » « Et donc ? » je ne comprends toujours pas ce qu’elle me dit. Elle n’a rien de plus précis à me dire. Devant son silence et son malaise, je lui propose l’hypothèse qu’elle associe cette femme à une représentation qu’elle a peut-être des femmes algériennes de 50 ans. Soudain, elle réalise ce qu’elle est en train de faire.
Ecouter, c’est faire le pari d’offrir une oreille neuve à chaque personne. Enfermer quelqu’un dans une culture, dans un système, dans une représentation imaginaire empêche tout simplement d’entendre la parole d’un sujet. La psychanalyse revendique de faire du cas par cas.
Nous sommes trop souvent tentés de neutraliser l’autre, de le réduire, de le mettre à distance en imaginant que nous avons compris quelque chose de ce qu’il est en train de nous dire. Or, dès que nous croyons comprendre, nous pouvons être quasi assurés de nous tromper. Mieux vaut dit Lacan ne pas chercher à comprendre. Les supervisions, en groupe ou individuelles, permettent de se décentrer et d’entendre l’autre dans ce qu’il a de plus singulier, dans son mystère, l’opacité du sujet, « sa maison » selon Henri Maldiney 1.

1-Françoise Mona Besson, La lettre N° 6 d’Intervall à demander sur le site http://www.cap-intervalle.org/